En 1826, le président O'Higgins du Chili, soucieux de nourrir l'indépendance de son pays, demande à la France des maîtres ayant la capacité de fonder un collège national à Santiago.
Le choix de Claude Gay, jeune professeur de botanique et d'histoire naturelle de vingt-six ans, fait alors consensus.
C’est ainsi avec enthousiasme que le jeune homme embarque en 1928 pour un trajet de 9 mois en bateau, avide de découvrir des espèces encore inconnues parmi la faune et la flore du Chili.

Les grandes étapes du voyage
Départ de Brest, 18 mai 1828
- Sortie de la Rade. 12 jours de tempête
- Dégâts matériels
- Passage au large de Ténériffe (3 lieues, 15 km)
- Passage au milieu des îles du Cap Vert
- Passage de la ligne équatoriale (3 juillet)
- Passage au large de l’île de la Trindade et des ilots de Martin Vaz (12 juillet)
- Passage au large du Cap Frio (16 juillet)
Escale à Rio de Janeiro, 19 juillet - 26 août 1828
- Conditions météo peu favorables
1re escale à Montevideo, 27-29 août 1828 pour Buenos Aires
- Le 27 : le Cap Ste Marie est doublé
- Le 29 : mouillage dans la baie
Buenos Aires, 17 septembre – 8 octobre
- Arrivée : 17 septembre 1828
- Séjour : 21 septembre - 8 octobre 1828
- Départ : 8 octobre 1828
- Conditions de navigation très difficiles
- Point d’arrêt à La Plata, 8-17 octobre 1828
Dernière escale à Montévidéo avant le Chili, 17- 22 octobre 1828
Cap au sud, 22 octobre 1828
- Passage au large des îles Malouines, 5-6 novembre 1828
Le redouté Cap Horn, 7 novembre-3 décembre 1828
- 7 novembre 1828 : en vue de la "Terre de feu" et l'île des États par le détroit de Le Maire, cap à l'Est puis au Sud
- 11-14 novembre 1828 : passage du 60° parallèle Sud
- 2-3 décembre 1828 : le Cap Horn a été doublé...
- Dernière ligne droite : en remntant la côte chilienne par le Sud
Les îles chiloé sont en vue, 3 décembre 1828
- Conditions météo : vent très favorable
- Vitesse : 4-5, montée progressive à 7 jusqu’à se stabiliser à 9-10 nœuds en fin de route (- 1 jour)
Entrée dans la rade de Valparaiso, 8 décembre 1828
- Débarquement : 11 décembre 1828
- Fin du voyage maritime

Extraits du carnet de voyage maritime
Brest, 18 mai 1828
"[...] malgré toute notre patience il était bien difficile de pouvoir supporter nos maux avec sang-froid en raison des nombreux événements qui venaient augmenter cette triste maladie car indépendamment du mal de mer il est survenu après notre sortie de la rade de Brest une tempête épouvantable qui a duré près de douze jours ; pendant cet intervalle couchés dans notre quadra suspendu, nous volions d’un plancher à l’autre, et attendions péniblement notre sort qui semblait être menacé à toute heure à toute minute, plusieurs petits mâts furent cassés, la grande vergue du grand mât fut coupée en deux, l’eau pénétrait de tout côté par-dessus le pont par les sabords [...]".
Passage au large de Ténériffe (3 lieues, 15 km)
"[...] Dans le courant de ce voyage nous avons rencontré rien de bien remarquable, seulement nous avons passés à 3 lieux de Ténériffe et il nous a été facile de contempler ce fameux pic et cette fameuse île qui semble être un débris de cette Atlantide si bien décrite par Platon [...]".
Cap Vert
"[...] Je me promenais souvent sur le pont pour découvrir quelques-uns de ces animaux volants que d’après tant de voyageurs je croyais devoir rencontrer en si grand nombre sous les tropiques mais malgré mon attention et celle de mes compagnons et des officiers, nous n’avons pu découvrir que des galères ou physalies qui semblables à ces belles fleurs paucidiètes brillent de mille couleurs toutes plus douces et plus tendres, M. Descaret parvint à en attraper deux, une grande et une petite, que je disséquais mais un animal que je ne pu reconnaître et que je crois tout à fait nouveau se trouvait avec ces galères, je l’ai peint sur mon album en voici une description - sur une matière sub convexe très blanche ressemblant parfaitement à du tissus cellulaire ayant comme lui des nombreuses cellules remplies d’air, se trouve sept corps sub pyramidaux, attachés par la pointe au sommet la masse commune et libre dans les autres parties ; ces corps d’un violet lie de vin sont formés d’un nombre de petits corps rangés bien en séries et qui vus au microscope paraissent de la grosseur d’une très petite tête d’épingle opaque d’un côté et transparent de l’autre, j’ai cru y remarquer un certain mouvement mais comme je les ai observés au microscope que 10 heures après je ne puis rien affirmer là-dessus.
Nous avons vu aussi quelques poissons et mammifères tels que des bonites, des requins, des marsouins, des poissons volants qui volaient de temps en temps par bande, il y en a un qui est venu tomber sur le bâtiment et le mousse qui l’a pris est venu le donner au commandant qui m’en a fait présent. Je l’ai disséqué le lendemain on en a pris un autre ; quelques jours après le commandant qui me l’avait encore offert le fit mettre dans un seau pour le conserver ; le lendemain on le perdit ; on prit aussi une bonite et un requin que nous avons mangé malgré la prévention que l’on a de sa voracité, il était d’une blancheur éclatante et d’un goût approchant à peu près à celle de la raie comme il était très jeune il était assez tendre [...]".
2 juillet 1828
"[...] Depuis quinze jours nous n’avons fait aucune route, contrariés par des vents tout à fait opposés, nous ne pouvions guère que louvoyer, cependant le temps est plus favorable depuis hier et nous allons presque en bon chemin [...]".
3 juillet 1828 : passage de la ligne équatoriale. Baptême et rituel de passage (une tradition toujours célébrée)
"[...] Vers les dix heures nous sommes montés sur le pont et nous avons vu défiler les acteurs de la cérémonie. À la tête se trouvait le tambour puis la croix, puis le Suisse, la bannière, venaient trois diables tous noircis habillés en rouge et dont un avec une grande chaîne jouait parfaitement son rôle, ils voulaient tous les trois arrêter le Père la ligne qui était dans un chariot traîné par les deux chevaux de la veille et qui étaient conduits par un meunier tout blanchis et par le postillon, mais comme ce Père était précédé par Neptune, ce dieu avec son trident arrêtait ces diables et les forçait à s’éloigner ; le char contenait de plus la femme et le fils du père la ligne et était escorté par des turcs et des gendarmes, venait enfin le prêtre avec tous les clercs [...].
Après la procession, le prêtre a [...] donné la bénédiction. [...] On nous a fait descendre au carré et après que le baptême des officiers qui n’avaient pas encore passé la ligne ait eu lieu on est venu nous appeler l’un après l’autre [...]. On m’a bandé les yeux ensuite l’on m’a fait asseoir sur une chaise et l’on m’a fait la barbe ayant pour pinceau un faubert et pour rasoir un grand couteau de bois, après l’on m’a fait asseoir sur une planche placée sur une cuve remplie d’eau et l’on m’a fait plusieurs questions entre autres de jurer que je ne tromperais jamais la femme d’aucun marin, mais au moment que j’allais pour terminer mes réponses que je faisais avec un porte-voix, l’on a jeté dedans ce porte-voix un verre d’eau de mer que j’ai bu en partie, dans le même moment on fait faire la bascule de la planche et tout mon derrière est tombé dans la cuve, cependant ils ont presque manqué leur coup ; en passant pour sortir de la chapelle le meunier m’a jeté de la farine au visage ce qui a beaucoup fait rire les officiers [...].
Après le baptême, le maître d’équipage a pris la pompe et nous a lancé de l’eau avec une telle force que nous avons été tout de suite mouillé jusqu’aux os, çà a été en quelque sorte le signal du grand du grand baptême, car dans le même moment nous avons vu venir les officiers à nous avec de grands seaux d’eau qu’ils lançaient sur nous, de notre côté nous avons été en chercher et nous leurs avons rendus à gros intérêts ce qu’ils venaient de nous donner, enfin vers les une heure on nous a dit qu’il allait finir et alors comme j’étais derrière le brave docteur je lui ai jeté mon dernier seau dont il n’a pas perdu une goutte, en revanche M. Defferre m’en a lancé un autre qui ne m’a pas moins mouillé [...].
[...] Après m’être changé de tout, je suis descendu au carré où nous avons pris du vin chaud. Après dîner nous avons chanté, bu du punch et enfin nous sommes venus danser sur le pont, tous les matelots, mousses y étaient ; vers les 9 heures je leur ai joué sur le violon une montferrine qui les a beaucoup amusés et la cérémonie a été terminée par les rondes des matelots où l’on a chanté les rondes les plus abominables et les plus indécentes [...]".
Vendredi 4 juillet 1828 : journée ordinaire
"[...] Après mon lever je suis monté sur le pont où je me suis un peu occupé d’espagnol. Dans cet intervalle j’ai vu plusieurs fous qui planaient regardant dans la mer et plongeant de temps à autre dans la mer pour attraper des poissons volants, ceux-ci épouvantés par cet ennemi sortaient de la mer et volaient par millier ; j’ai remarqué qu’ils ne se dirigeaient jamais en ligne droite, qu’ils formaient presque toujours une courbe" [...].
Dimanche 6 juillet 1828 : journée ordinaire
"[...] On se proposait aujourd’hui de faire l’exercice à feu mais comme il faisait beaucoup de vent et que d’ailleurs la plupart des mousses étaient occupés à arranger le mât de kakatoes que le vent avait fendu la veille, il n’en a pas été question ; vers les une heure je suis descendu au carré pour jouer au 21, nous étions associés avec le brave docteur et nous avons gagné 3 francs chacun. Le soir après dîner, je m’amusais sur le pont lorsque M. Chapuis m’a engagé de venir jouer à l’écarté, plusieurs de ces messieurs sont venus. J’ai gagné 7 francs donc 5 francs à comptant. M. Mamet a aussi gagné, vers les 10 heures j’ai été voir ces messieurs qui jouaient à l’écarté, le docteur a perdu [...]".
Mardi 8 juillet 1828 : journée ordinaire
"[...] En me levant je suis monté sur le pont et le brave M. Fournier est venu me faire cadeau d’un poisson volant qui était sauté dans la nuit sur le pont. Je l’ai descendu à l’entrepôt dans l’intention de le conserver dans l’esprit de vin, mais comme je n’ai pas trouvé de flacon susceptible de le recevoir nous l’avons disséqué avec le Docteur et après nous l’avons mangé quoique les portions ne fussent que de la grosseur d’une noisette ; comme je cherchais un vase pour pouvoir le conserver jusqu’à Rio, nous sommes entrés avec M. Chapuis chez le Commandant où nous sommes restés un bon moment causant sur différents sujets de l’histoire naturelle [...]".
L’île de la Trinité et îlots et Martin Vaz, 12 juillet 1828
Source ?
"J’étais encore dans mon lit lorsqu’on est venu dire que l’on voyait la terre. [...] Le commandant m’a dit si je voulais débarquer à la Trinité pour herboriser [...]. Cette île que nous prenions d’abord pour la Trinité n’était que les trois rochers dont deux en pain de sucre et la plus grande en forme de sabot et que l’on appelle les rochers de Martin Vaz [...]".
Cap Frio, 16 juillet 1828- Rio de Janeiro, 19 juillet 1828
"[...] L’intérieur de la rade peut-être la plus belle qui existe sur la terre est parsemé d’îles la plupart fortifiées de bastions, d’autres sont occupées par des maisons de plaisance, d’autres enfin par des couvents de moines [...]".
Fin de la première étape. 2 mois de navigation
6 semaines à poste à Rio
Rio, 26 août 1828 / Buenos Aires, 17 septembre 1828 (21 jours)
"[...] Le premier jour de notre départ de Rio Janeiro nous avons eu un beau temps, un vent favorable gonflait nos voiles et nous a fait parcourir un trajet assez long, mais les jours suivants le vent a changé et cette contrariété jointe aux pluies et aux tempêtes nous ont fait en quelque sorte rebrousser chemin de manière que notre traversée a été assez longue et assez agitée pour que je n’éprouve pas de nouveau ce terrible mal de mer qui m’avait tant fait souffrir dans le golfe de Gascogne. [...]".
Escale à Montevideo, 27-29 août / 1-3 septembre 1828 Buenos Aires, 17 septembre 1828
"[...] Après être restés quelques jours à Montevideo nous avons remis à la voile, mais contrariés par le mauvais temps et un vent contraire nous avons été obligés de jeter l’ancre plusieurs jours de suite de manière que nous sommes restés près de 15 jours pour arriver à Buenos Ayres ; en route nous avons vu la flotte brésilienne qui est chargée du blocus de Buenos Ayres ; comme elle ne savait pas pourquoi nous allions dans cette ville malgré que nous eussions des laissez-passer de l’empereur Don Pedro on nous a envoyé un brick pour observer qui nous étions [...]".
Buenos Aires, 17 septembre 1828 - Le départ de Buenos Aires semble difficile
Blocus naval (conflit Argentine/Brésil)
"Cette circonstance nous a obligé de tirer un coup de canon à poudre pour assurer notre pavillon et nous avons toujours continué notre route, nous dirigeant vers la flotte que nous étions obligés de traverser ; nous étions arrivés auprès du vaisseau amiral et bien qu’il eût appareillé et même les autres vaisseaux, on nous a laissé passer, mais à peine étions-nous à ¼ de lieu plus loin que le vaisseau amiral est venu après nous et nous a notifié de mettre en panne et même de larguer le petit hunier seule voile que nous eussions, sans quoi il faisait feu sur nous [...]".
Buenos Aires (21 septembre 1828)
"[...] Parmi les autres monuments de la ville, j’ai remarqué surtout la bibliothèque qui quoique peu nombreuse renferme néanmoins des ouvrages bien choisis, combien de fois n’en ai-je pas désiré une pareille à Sant Yago, j’y ai consulté l’histoire politique et scientifique de la nouvelle Espagne par de Humbolt ; j’ai visité aussi le cabinet de physique qui est assez bien monté et le cabinet d’histoire naturelle qui vient d’être commencé par M. Ferrari [...]".
"[...] Lorsque je débarquais à Buenos Ayres, mes intentions étaient d’aller par terre à Sant Yago. J’y étais tout à fait décidé lorsque des renseignements que je pris sur le passage des Cordillères me dissuada de ces projets en raison des difficultés qu’il y avait de franchir ces montagnes couvertes ordinairement de neiges à l’époque où j’aurais été obligé de les traverser, d’ailleurs quoique le passage du Cap Horn soit pénible à cause du grand roulis et même dangereux eh bien malgré cela je ne suis point fâché de le voir non seulement parce que j’aurai la satisfaction d’avoir vu les trois zones mais encore parce que probablement j’aurais occasion d’y admirer ces beaux phénomènes météoriques tels qu’aurores boréales, si communs dans ces parages et si rares dans nos contrées [...] Je compte même faire des observations sur ces phénomènes et sous ce point de vue je me prépare en conséquence [...]".
Départ de Buenos Aires, 8 octobre 1828 - Point d’arrêt à La Plata, 8-17 octobre 1828
"[...] Contrariés par un vent debout nous avons été obligés de jeter l’ancre quelques heures après l’avoir levée. Comme mon intention est de bien étudier la géométrie, nous avons pris la première leçon avec le docteur Toussaint. Je me suis aussi occupé d’espagnol [...]. Sur les deux heures et demie m’étant réveillé avec de grands maux de tête et un malaise insupportable j’ai été obligé bientôt de me lever pour aller vomir, ce vomissement était accompagné d’une diarrhée ce qui m’a fait présumer que c’était une indigestion [...]".
"[...] Toujours contrariés par un vent debout, nous avançons très peu, deux ou trois lieux par jour au plus, aussi est-on obligé de jeter l’ancre à tout moment [...]".
"[...] Je suis resté une partie de la journée dans le poste travaillant sur mathématiques, néanmoins je pensais de temps en temps à St Denis et aux personnes que j’y ai laissées. Il y a eu un an aujourd’hui me disais-je, que je me trouvais avec V. promenant à la foire et visitant tous les saltimbanques qui s’y trouvent, tous ces moments me revenaient à la mémoire et cependant enfermé dans une chambre noire, obligé de travailler à la lumière en plein midi.
Je me trouvais bien éloigné de ce lieu qui m’a procuré tant de jouissances, vraiment ma position dans ce moment était bien et bien susceptible de regretter mon départ et de me faire apercevoir l’énorme différence du 12 8bre de cette année au 12 octobre de l’année passée, c’était bien l’occasion de dire que les années se suivent mais ne se ressemblent pas.
Tous ces souvenirs m’ont fait passer une journée assez triste, ce qui venait augmenter cette tristesse. C’était un temps tour à tour brumeux et clair qui menaçait de vouloir se précipiter en orage [...]".
"[...] Le mauvais temps s’est continué toute la journée aussi sommes-nous restés à la même place sans penser à lever seulement la deuxième ancre que l’on avait jeté la veille pour plus de sûreté, eh bien malgré cette double ancre nous avons été ballottés toute la journée comme si nous avions été en pleine mer, ce qui m’a ce qui m’a mis dans un malaise auquel je suis déjà habitué, je n’ai pu par conséquent m’occuper ni d’espagnol ni de mathématiques, je suis resté une partie de la journée couché ou plutôt appuyé sur ma table, cherchant à dormir et passer par ce moyen les ennuis qu’une telle contrariété nous donne [...]".
"[...] Je passe depuis plusieurs jours des moments bien triste ; c’est surtout lorsque je pense à l’agréable position où je me trouvais à Paris, tandis qu’ici, toujours en bute au caprice des officiers et des éléments l’on est le plus souvent contrarié. Ce genre de vie qui ne peut être plus monotone, dure déjà depuis cinq mois et nous sommes bien loin cependant d’être arrivés à notre destination.
Les uns disent qu’il nous faut encore deux mois d’autres trois, mais ce qui occupe le plus nos entretiens c’est le fameux passage du Cap Horn, qui semblable à un monstrueux géant, doit nous faire éprouver les plus terribles tourments que les marins peuvent essuyer [...]".
Montevideo, 17- 22 octobre 1828
En mer.... vers le Cap Horn
"[...] La mer est encore plus calme que hier, c’est un calme blanc, un véritable calme de la ligne qui, s’il durait longtemps nous mettrait dans une position assez fâcheuse à cause de l’impossibilité où nous serions de pouvoir ou avancer ou reculer, cela me rappelle une fameuse description d’un pareil calme qui survint aux premiers conquérants de l’Amérique [...]. Ce qui rend encore le tableau plus monotone, c’est le silence qui règne dans tous les environs, la mer ne vient plus frapper sur le vaisseau et rebondir en jet écumeux jusqu’à de certaines hauteurs, le vent ne vient plus gonfler les voiles et amener ce doux bruit qui rend le marin si gai et lui donne l’espoir d’une prompte arrivée ; il n’est pas jusqu’au service qui semble en souffrir, tout paraît mort envoûté dans la solitude, la mer ressemble à un vaste désert de glace, le vaisseau reste immobile aux efforts des marins et eux même plongés dans une nonchalance inaccoutumée attendent avec impatience la fin d’un tableau si triste [...]".
"[...] Non les voyages sur mer ne sont pas si désagréables que l’on s’imagine, il est vrai que depuis six mois passés nous avons été presque continuellement sur cette plaine agitée et que dans cet intervalle nous avons essuyés des tempêtes assez fortes pour et fatiguer la patience du navigateur le plus intrépide, mais quand ces tempêtes sont remplacées par un vent favorable, lorsque le ciel aussi pur que l’aube qui réfléchit son azur laisse briller sans nuage ce grand vivificateur de la nature animée, c’est alors que tous les maux cessent et que la gaieté, compagne du bonheur, vient le peindre sur le visage de tout l’équipage, nous avons été témoin de ce bonheur, pendant plusieurs jours, un vent arrière gonflait largement nos voiles et nous faisait parcourir des distances immenses sans que notre vaisseau fut le moins du monde agité ; dans cet intervalle, tranquilles dans nos petits recoins nous pouvions nous livrer à nos occupations scientifiques, comme si nous fussions à terre [...]. Livré à une espèce de mélancolie, je l’ai passée en partie étendu sur les voiles, employant tout au plus mon temps à lire soit les poésies d’Ossian ou le voyage dans les isles de la Grèce [...] et le soir après dîner je me suis un peu occupé d’espagnol et après je suis venu écrire mon journal [...]. Je me suis occupé aussi à lire quelques passages de Chateaubriand [...]".
En vue des îles Malouines, 5-6 novembre 1828
"[...] La mer est toujours sinon tout à fait calme du moins assez tranquille pour n’éprouver aucun roulis et cependant nous approchons à grands pas du Cap Horn, ce fameux cap qui nous avait tant intimidé et qui devait nous faire essuyer des maux bien plus terribles encore que nous avions eu au Cap du Finistère, depuis notre départ de Brest, on nous en avait parlé comme l’endroit le plus dangereux pour nous, tant par le malaise que nous y ressentirions que par les nombreuses tempêtes qui s’y manifestent [...]. Le 6, le ciel a été encore plus beau et la mer même trop belle puisque nous n’avançons presque pas à cause du calme ; cela nous met à même de voir la prodigieuse quantité de baleines que nourrit cette mer, on aurait dit une grande quantité de jets d’eau existant dans la mer lorsqu’elles lançaient l’eau qu’elles sont obligées d’avaler pour retirer l’air vital ou l’oxygène malheureusement que je n’ai pu connaître son espèce [...]".
Le redouté Cap Horn 7 novembre 1828
"[...] Vers les midi on a cru voir la Terre de feu, l’intention du commandant était de passer au détroit de Le Maire, cela me faisait d’autant plus de plaisirs que nous aurions vu la Terre de feu et l’isle des États tout à la fois, mais comme nous étions trop loin et que nous aurions été obligés de le doubler dans la nuit ce qui serait devenu dangereux, il a fait virer de bord et on a gouverné vers l’est, deux heures après on a gouverné vers le sud et depuis ce temps, nous avons toujours eut un vent très fort et très favorable ; vers les dix heures époque où je suis venu me coucher, on filait encore 9 nœuds et on avait été jusqu’à onze, aussi si ce temps continue demain nous aurons doublé ce fameux cap qui nous a tant fait peur et dont on nous avait tant vanté les mauvais temps et comme le refuge de tous les dangers réunis.
Le froid même est très supportable, le thermomètre n’est pas encore descendu à cinq degrés, il est vrai que nous sommes en été.
Vers les trois heures on a cru voir une terre à l’est, mais on s’est bientôt aperçu que ce n’était que des brouillards, ce qui a donné à penser si celles que nous avons vues vers les onze heures étaient bien réelles, plusieurs officiers en doutent ; cependant on croyait voir même la neige dont elles étaient couvertes.
Les baleines se présentent toujours en quantité, je m’étonne qu’il n’y ait pas plus de bâtiments baleiniers qui viennent faire la pêche [...]".
"[...] Le fantôme est disparu, le fier Cap Horn malgré sa triste physionomie a été terrassé et les montagnes d’eau se sont aplanies et notre vaisseau a doublé en sillonnant une plaine nullement agitée, telles étaient les paroles que nous nous disions la veille, un vent très favorable nous promettait de nous faire parcourir une bonne distance dans la nuit et nous faire trouver au lendemain à l’ouest de ce cap ; mais quelle a été notre surprise lorsqu’en nous levant nous avons vu la mer agitée, et le vent qui commençait à tourner [...].
Jusqu’à déjeuner le temps n’était pas très mauvais mais après la mer est devenue tellement grosse que malgré que j’eusse très peu déjeuné, j’ai été obligé d’aller vomir ce que j’avais pris, ensuite je suis venu me coucher sur les voiles où je suis resté jusqu’au soir, dans cet intervalle je suis monté de temps en temps sur le pont et j’admirais non sans horreur les grandioses effets de ces tempêtes tant famées chez les prosateurs et les poètes, ces vagues que l’on peut comparer avec juste raison à des grandes montagnes, venaient battre sur notre vaisseau et passer même dessus, et inondaient alors tout le pont et par suite la batterie ; le vaisseau dans ce cas penchait tellement que les bords supérieurs ou les bastingages allaient presque toucher l’eau. Je me rappellerai longtemps la chute que m’a fait faire un de ces roulis : allant pour descendre du pont à la batterie, je tenais déjà la corde d’une main lorsqu’un de ces roulis m’a fait sauter les 10 à 12 marches et m’a jeté plat ventre dans la batterie sans cependant que je me sois fait beaucoup de mal [...]".
9 novembre 1828
"[...] Le mauvais temps continue toujours, les vents continuent d’être contraires et nous nous dirigeons toujours vers le sud, aussi malgré mon appétit, j’ai cru devoir ne rien manger, crainte encore d’une mauvaise digestion, aussi je me suis couché dans le lit du docteur Toussaint pendant le déjeuner, vers les onze heures je me suis levé et étant monté sur le pont j’ai vu avec une grande satisfaction que la mer était un peu moins agitée et qu’elle voulait se calmer, aussi ai-je pu me livrer à mes études favorites. Une bonne partie de la journée, je me suis amusé à regarder jouer ces messieurs à l’écartée, M. Bécot a gagné cent réals [...]".
10 novembre 1828
"[...] Le temps était très beau hier au soir, le vent favorable et cependant eu nous levant nous avons été bien surpris de voir le vent tout à fait changé de manière que nous sommes obligés de nous diriger encore vers le sud, heureusement que le roulis n’a pas été très fort, ce qui m’a mis à même de travailler une partie de la journée, quoique très imparfaitement à cause du bruit que l’on faisait dans le poste [...]".
11-14 novembre 1828
"[...] Le vent est toujours contraire, ce qui nous oblige de nous diriger vers le sud et nous éloigner par conséquent de beaucoup de notre vraie route, nous éprouvons aussi des froids assez intenses, le thermomètre descend de temps en temps au-dessous de zéro, et le moindre nuage nous amène la neige, aussi depuis longtemps nous ne montons plus sur le pont, renfermés dans notre poste, nous nous réchauffons par notre souffle et nous éprouvons par là tous les maux qu’on nous prédisait depuis notre départ de Brest, cependant ils ne sont pas très rigoureux à cause de la saison dans laquelle nous doublons ce fameux cap et parce que nous sommes tous renfermés dans le poste où il ne fait nullement froid.
Je m’occupe toujours tantôt de sciences physiques tantôt de mathématiques, quelquefois nous avions des discussions soit scientifiques soit grammaticales, c’est ainsi que nous passons ce temps devenu si triste depuis que nous nous approchons du cercle polaire, le roulis surtout qui ne discontinue point nous accable ; fort heureusement que j’y suis tout à fait habitué, au point que je ne suis nullement incommodé et toujours prêt au travail, si parfois cependant un ennuie me prend, je m’empare d’un volume de Châteaubriant et cet estimable et agréable auteur me rend aussitôt cette gaieté qui m’a toujours caractérisé, La vie de Henry quatre vient de temps en temps aussi occuper ces moments de loisir.
Nous sommes au-delà du 60e degré de latitude, le soleil semble ne pas se coucher, le soir il descend au-dessous de notre horizon et tout en faisant le tour de ce cercle, il éclaire nos nuits d’un crépuscule assez fort pour nous permettre de lire, c’est l’expérience que nous avons faite l’autre soir vers les dix heures et demies, les oiseaux viennent toujours nous visiter, ce sont principalement des damiers et autres pétrels, des albatros et autres oiseaux pélagieux dont les ailes ont une envergure étonnante [...]".
15-19 novembre 1828
"[...] Le temps est toujours mauvais, la mer très agitée et le vent contraire. Aussi sommes-nous plongés dans une mélancolie qui n’a pas d’exemple, renfermés tous dans notre petit poste ou plutôt dans un noir cachot éclairé par une chandelle nous passons notre temps à lire ou étudier ; encore ce genre d’amusement ou de passe-temps serait assez agréable si nous n’étions pas tant tourmentés par cet épouvantable roulis qui dure depuis dix jours, il nous est impossible de rester droit et lorsque nous sommes assis, il nous arrive de rouler avec les chaises et menacé de toucher si nous ne rencontrons pas quelqu’objet pour nous arrêter, il n’y a rien de plus drôle que de nous voir à table, au moment que nous prenons notre soupe ou tout autre met, il survient un coup de roulis qui jetterait plat, assiettes, verres etc., par terre si nous n’avions pas le soin de les retenir et si on n’amarrait pas tous ces objets dans un treillage de corde que l’on a mis au milieu de la table et que l’on appelle violon ; ce mauvais temps oblige la plupart de nous de se retirer de table et d’aller dîner à un coin de la chambre [...].
Il en est de même dans notre poste, il survient assez fréquemment de ces gros roulis qui nous jettent livres, écritoires etc., par terre, quelquefois nous sommes obligés de retenir la table et les bancs sans quoi ils subiraient probablement le même sort, bien qu’ils soient très amarrés [...].
Je me suis beaucoup occupé ces jours passés de magnétisme ce qui m’a mis à même de causer sur la déviation et l’inclinaison de la boussole avec M. Cochard, ce modeste officier m’a dit que dans des pays elle variait beaucoup d’une année à l’autre et qu’aujourd’hui elle était nulle à Rio, cela m’a donné à penser de prendre par écrit toutes les observations qui ont été faites sur cette science, depuis notre départ de Brest.
Je m’occupe toujours aussi de mathématiques, science à laquelle j’ai fait assez de progrès.
J’ai aussi entrepris de lire L’histoire ancienne de M. De Ségur sur laquelle je prends beaucoup de notes pour comparer les mœurs des anciens peuples avec celles des araucariens et chercher par conséquent quelques points de rapport pour nous éclairer sur l’émigration des peuples.
Depuis dix jours nous restons à la même place tantôt nous avançons, tantôt nous reculons, il y a des vaisseaux qui sont restés près de trois mois dans cette triste position et toujours en danger, Dieu quelle espérance [...]".
19-23 novembre 1828
"[...] Nous voilà toujours au sud du Cap Horn, nous faisons de grands efforts pour pouvoir le doubler et cependant c’est toujours en vain, notre position est vraiment pénible, gênante, malheureuse même, un mauvais temps perpétuel joint à un froid assez intense semble nous interdire encore pour longtemps nos promenades sur le pont, aussitôt après repas nous sommes en quelque sorte obligés de venir nous enfermer dans notre poste ou plutôt notre obscur cachot et là au milieu de nos études interrompues de temps en temps par de grands coups de roulis, nous tâchons de digérer la mauvaise nourriture que l’état-major nous donne depuis quelque temps, tant en vérité c’est indigne d’un officier français d’en agir ainsi ; tous mes compagnons en rient de pitié et d’après leurs propos particuliers, je ne sais trop comment cela finira [...].
Indécis sur la réussite de notre académie, je pense depuis plusieurs jours comment je dois agir à mon arrivée à Valparaiso, mes compagnons y pensent beaucoup aussi, de sorte que cela nous tracasse pas mal jusque même à nous donner parfois le spleen.
Je travaille toujours l’algèbre à laquelle je fais assez de progrès et le soir après dîner, je travaille sur L’histoire ancienne en ayant soin de prendre beaucoup de notes sur les mœurs de ces Antiques habitants et savoir si par hasard quelques-unes de ces mœurs ne se trouveraient point parmi les sauvages américains que mes voyages me mettront à même de visiter [...]".
24-28 novembre 1828
"[...] Le temps est toujours contraire ce qui nous oblige de nous diriger vers le sud-est, cependant nous avons viré de bord et depuis 3 jours nous avons le cap en route, ce qui nous réjouit d’autant plus que les officiers faisant de grandes économies ont fait peu de provisions de sorte que nous sommes réduits à manger seulement la ration de bord, ce qui nous contente fort peu ; depuis plusieurs jours, nous sommes tellement indignés de cette conduite qu’il a été résolu que nous nous plaindrions auprès du ministère et même aux journalistes, mais ce qui nous contente c’est que nous sommes bientôt au terme de nos voyages, depuis 7 mois que nous sommes sur mer il est naturel que nous soyons fatigués de cette existence, et reprendre ces habitudes tant contrariées par notre manière de vivre [...]".
29 novembre - 2 décembre 1828
"[...] La mer était très grosse, des vagues énormes venaient de temps en temps battre sur le vaisseau et rebondissaient en plein sur le pont, inondant les matelots et toutes les personnes qui se trouvaient dessus. Une de ces lames a fait un tel bruit en tombant, que nous avons tous cru que la grande vergue était cassée ou que notre vaisseau avait éprouvé une grande avarie [...]. Un moment après, une pareille lame est venue encore nous jeter dans l’épouvante, M. Bécot est devenu pâle, M. Seghiers a jeté un cri d’effroi qui nous a tous surpris, cette grande crainte nous avons même un peu amusé bien que le plus grand sérieux se manifesta sur la figure ; enfin vers les neuf heures je suis venu me coucher ne pouvant rester plus longtemps à cause du mauvais temps ; avant de me coucher, je suis monté sur le pont et j’ai admiré non sans effroi, le tableau horrible d’une mer en furie. Les matelots, toujours fidèles à leurs devoirs, étaient accrochés aux bastingages et attendaient avec une patience vraiment étonnante, le résultat d’une nuit qui leur paraissait des plus périlleuse [...]".
3 décembre 1828
La Cap Horn a été doublé...
"[...] Somos hoy en frente de la isla de Chiloë pero aun muy apartado [...]".
5 décembre 1828
"[...] Le vent commence à reprendre, nous commençons à filer 5 ou 4 nœuds et sur le soir nous allions jusqu’à 7 ; aussi tout le monde en est satisfait et certes depuis 7 mois que nous sommes sur mer il est juste je pense que nous arrivions enfin à notre destinée ; les voyages sur mer sont quelquefois agréables, lorsqu’un vent arrière gonfle nos voiles et nous fait avancer avec rapidité, rien alors de plus charmant, mais quand un vent debout vient contrarier nos manœuvres, quand un roulis épouvantable vient nous faire rouler depuis le matin jusqu’au soir et que la mer en courroux vient effrayer notre inexpérience, alors on désire vivement arriver d’autant plus que la navigation la plus agréable est toujours monotone, animée tout au plus par quelques damiers, goélands, albatros, animaux tous muets et qui n’ont d’oiseaux que leurs formes et leurs vols [...]".
6 -7 décembre 1828
"[...] La journée a été très belle, depuis onze heures nous filons 9 et 10 nœuds, ce qui joint au beau soleil, m’a engagé à monter sur le pont où je me suis amusé à lire, mais la proximité de notre arrivée me met dans une espèce d’impatience qui ne me permet point de lire avec fruit ; le commandant me disait que lundi nous pourrions voir les terres promises et qui ne pourrait pas se livrer dans les transports de joie, nous qui sommes restés 7 mois sur mer et le plus souvent contrariés sous différents points de vue [...].
[...] Le vent est toujours bon et favorable, nous filons presque continuellement 9 nœuds, aussi espérons nous voir demain cette terre promise dont nous soupirons tant depuis 7 mois ; aussi me suis-je occupé une partie de la journée à collectionner mes plantes pour les envoyer par l’Adour au Muséum d’histoire naturelle [...]".
8 décembre 1828
"[...] Vers les quatre heures, je suis monté sur le pont et j’ai vu avec un grand plaisir la terre de plus près, aussi [...] suis-je monté aussitôt sur le pont. Le commandant est venu immédiatement après moi et a commandé une grande manœuvre à cause du vent qui était de plus en plus fort, nous filions près de 10 nœuds, aussi sommes-nous rentrés dans la rade de Valparaiso le soir à six heures, et nous sommes venus mouiller près le vaisseau amiral [...] plusieurs barques sont venues nous voir et d’après les nouvelles qu’ils ont demandé de la Nantaise, nous avons conclus qu’elle s’était perdue, car ce brick était parti le mois de mai de Rio Janeiro [...]. En entrant dans la rade nous avons vu un tourbillon dans la mer, phénomène occasionné par le changement de vent [...]. Valparaiso est bâti en amphithéâtre, quelques maisons par ci par là font partie de la ville la plus commerçante du Chili [...]".
11 décembre 1828
"[...] Étant levé de bon matin, je suis parti par la porte aux choux pour Valparaiso. Comme M. le commandant était avec moi, il m’a conduit au marché où j’ai pu voir une bonne quantité de poissons et des concholepas que l’on vend sans coquille et par chapelets, j’ai vu aussi quelques crustacés, ensuite je me suis dirigé vers la campagne. Dans les rues que je traversais, j’ai rencontré quelques coquilles de concholepas que j’ai ramassées ; j’ai cueilli aussi quelques plantes dont la ville est remplie, mais voyant qu’elles étaient très communes, je les ai jetées pour ne pas me charger [...]".